Clandestins en Guinée Conakry

Il est temps de repartir. On a décidé de rentrer à Dakar sans repasser par Kedougou et il va donc falloir trouver un passage vers l’ouest. On se renseigne dans le village Bassari où l'on a passé la nuit et encore une fois on nous dit que ce n’est pas possible car le fleuve Gambie ne peut être traversé et qu’on va devoir revenir vers l’est ; vers Kedougou !

Qu’a cela ne tienne, on est têtus et on va tenter de passer comme prévu. On a avec nous Vicens qui connait bien l’administration locale pour avoir travaillé dans différents ministères. Si on a besoin de passe-droit, on pourra compter sur lui.

En regardant la carte, il semble qu’il existe de petites pistes qui cheminent vers l’ouest et remontent vers Tambacounda à travers le parc national. Seul problème, elles sont coupées par le fleuve Gambie, qui à cette période de l’année, juste après la saison des pluies promet d’être difficile à traverser. D’autant qu’il est peuplé d’hippopotames et de crocodiles mais on ne va pas se laisser distraire par quelques bestioles.


A 8 heures on avale un petit déjeuner rapide, on remercie le chef du village et on met le cap à l’ouest avec une capacité en essence d’environ 150 km plus un bidon de 5 litres.

Après une heure de route on est revenus à Salemata où l’on pourrait se renseigner car il y a un poste de gendarmerie mais Vincens recommande de ne pas poser la question car ils feraient probablement tout pour nous empêcher de passer. On continue donc vers l’ouest.

On voit qu’après Samemata la piste est beaucoup moins pratiquée ; elle est plus étroite et peu maintenue. Ça nous force à ralentir un peu mais ça passe, même avec le scooter. Il nous reste une cinquantaine de kilomètres pour arriver au bout de la partie praticable en 4x4.



A l’extrémité de la piste, à Oubadji, on arrive dans un village où un panneau « contrôle de police » barre la route. En guise de contrôle, on voit trois policiers avec lesquels on discute en occultant nos projets. On dit qu’on vient visiter le village et qu’on repartira plus tard. On en profite pour acheter de quoi nous désaltérer et on met le cap au nord, discrètement en pensant que le dernier contrôle est passé et qu’on va au moins pouvoir se rendre sur les rives du fleuve pour évaluer la faisabilité.

Erreur : après 1 km sur cette piste, on trouve une barrière et là, pas question de passer. On est face à deux gardes forestiers qui nous expliquent qu’il est impossible de traverser le fleuve en cette saison, qu’il n’y a ni barge, ni pont et que le débit est très important. De plus il est interdit d'entrer dans le parc sans autorisation. On insiste pour évaluer la situation par nous-mêmes car le fleuve n’est qu’à quelques kilomètres mais malgré les connaissances dans l’administration mises en avant par Vincens, ils ne veulent rien savoir. C’est plutôt rare ; on est tombés sur des gardes intègres qui respectent les consignes : personne ne rentre dans le parc ! Ils nous demandent de rentrer sur Kedougou qui est maintenant à 130 km de pistes à l’est.

Sans même nous concerter, on retourne au village 1 km au sud et là on essaie de trouver une voie vers le sud-ouest en traversant les petites pistes du village. On trouve effectivement une voie prometteuse, orientée sud-ouest et on espère trouver une dérivation vers le nord qui nous ramènera dans le parc, sur les rives du fleuve Gambie en évitant le poste de garde.

La piste est petite et sablonneuse. On retrouve les problèmes qu’on avait connus dans le désert et les dérapages sont fréquents. Benoit chute et décide de dégonfler le pneu avant. Ça va mieux.

On croise un autochtone sur une petite moto qui nous précise que cette piste va vers la Guinée Conakry et qu’il n’y a pas d’autres pistes. Vincens n’est pas effrayé à l’idée de passer en Guinée sans avoir de visa. L’idée étant que si on parvient à rentrer sans visa, ils pourront difficilement nous empêcher de sortir car la défaillance viendra d’eux : on devrait être refoulés à l’entrée s'ils font leur boulot mais il est peu probable qu'on rencontre un contrôle sur une si petite piste.

On continue sur la piste avec quelques difficultés et après quelques kilomètres on arrive dans un petit village Bassari pour constater que le pneu du scooter est à plat à nouveau. Il a tout de même bien résisté malgré une chambre à air inadaptée et on se demande si ce n’est pas la valve qui s’est arrachée ou la chambre qui a trop chauffé et a rompu.



On s’arrête en bordure du village en on sort les outils. On est rejoints par de nombreux enfants du village qui viennent regarder les "mécaniciens" blancs. Ils ne doivent pas en voir souvent par ici.


On démonte la roue pour découvrir que c’est un clou qui a provoqué la crevaison ; on est rassurés car une surchauffe de la chambre à air après 150 km nous aurait empêché de rentrer à Dakar avec la seule et unique chambre qu’il nous reste : celle de rechange pour la Yamaha.

On distribue des stylos publicitaires à tous les enfants, on répare et des jeunes viennent pour nous préciser que sur cette piste il y a un marigot qui exige un passage sur un radeau. Ils offrent leurs services pour un prix prohibitif pour les normes locales. On refuse en les renvoyant à leurs occupations.

Le chef du village vient s’enquérir de nos projets pendant qu’on termine la réparation et on lui fait remarquer qu’on a donné des stylos à tous les enfants, qu’il ne faut pas nous prendre pour des cons et qu’on trouve que la démarche consistant à tenter de plumer les touristes ne va pas favoriser la publicité pour le village.

Avec le chef, on a à faire à quelqu’un de bien plus raisonnable qui nous dit que le passage est généralement facturé 2500 CFA par moto (environ 4 euros). Les jeunes reviennent, une discussion s’engage avec le chef du village comme médiateur et on finit par se mettre d’accord sur 10000 CFA pour les trois motos. Soit un vrai tarif africain. Bravo à Vicens pour la négociation !

Quand on arrive au Marigot et qu’on voit le petit radeau fait de bidons de 40 litres, on se demande si ça va passer avec nos motos de 200 kg. Benoit est particulièrement inquiet pour la BMW et nous maudit de l’avoir amené là. Mais les gars sont très efficaces et ils nous passent les motos sans encombre.

Ça y est, on est en Guinée Conakry !






On prend congé des passeurs et on progresse de quelques kilomètres sur une piste sablonneuse, juste assez large pour faire passer une moto quand on découvre une barrière, un drapeau Guinéen et une cabane avec deux douaniers et leur petite moto. C’est improbable ici car on est dans un chemin minuscule.

On discute avec les douaniers et comme Vicens a une carte d’identité sénégalaise et n’a pas besoin de visa, on occulte dans un premier temps le fait qu’on est européens. On parle de chose et d’autres, Vicens cite des noms de chefs des douanes, de ministres, montre ses cartes et c’est gagné. Les douaniers nous ouvrent la barrière en nous demandant de régulariser la situation au prochain village bien qu'ils sachent probablement que notre visa devrait être obtenu à Paris.

C’est gagné ! Selon Vicens, maintenant qu’on est en Guinée sans visa, ils ne peuvent que nous renvoyer au Sénégal et ça tombe bien, c’est ce qu’on veut. Le tout est de progresser assez loin vers l’ouest pour pouvoir remonter via la route qui évite le parc, après Samballo.

On continue sur la minuscule piste sabloneuse et on s’arrête dans un petit village faire quelques photos avec des familles et distribuer les derniers stylos qu’on a.


Arrivés à Youkoukoun, toujours sur la piste, on est arrêtés on nous demande d’aller au poste de police pour faire les formalités. On y va et là encore Vicens sort son argumentation et ses connaissances, flatte les policiers qui vérifient nos carnets ATA, leur propose de « jouer » à chercher les plaques d’identification des châssis sur les motos et, chose incroyable, les policiers se prêtent au jeu. On n’a rien lâché et ils nous laissent continuer en nous demandant de régulariser notre situation au bureau de police de Koundara qui est une vraie ville, traversée par une route goudronnée.

On continue la piste sur une trentaine de kilomètres et à Koundara on trouve de l’essence. On n’a pas de francs guinéens mais ils acceptent le paiement en CFA. On repart bien décidés à ne pas s’arrêter. Mais à l'entrée de la ville suivante, Samballo, on trouve encore des barrières ! On tente de passer à coté mais des policiers nous font signe de stopper.

Là ils nous demandent les passeports et voient bien qu’on est européens sans Visa. On explique qu’on est entrés par une petite piste, qu’on nous a laissé entrer, etc. et bien sûr ils nous expliquent qu’on ne peut pas passer comme ça, qu’il faut aller à Conakry pour le visa, etc.

Là encore Vicens sort l’artillerie : il cite des noms, montre des cartes et, chose qui fonctionne à merveille en Afrique ; il propose des logos brodés aux policiers. En fait Vicens a plusieurs business, il fait dans les travaux publics, a un studio d’enregistrement et a aussi des machines à broder pour fournir beaucoup d’administration sénégalaises et autres en logos sur les vêtements. Il joue le VRP, montre quelques exemples, des photos sur son téléphone avec des pointures locales et ça détend tout de suite l’atmosphère. Ils nous laissent même prendre des photos du site et des logos pour pouvoir les reproduire. Vicens leur fera acheminer des échantillons et espère avoir des commandes en retour.

C’est incroyable mais dans les administrations africaines ce genre de chose se traite localement, dans les bureaux des administrations et est la plupart du temps réglé en espèces ! Les policiers et douaniers ne reçoivent pas un uniforme mais doivent se le procurer avec une dotation. Ils semblent friands de beaux logos.




La théorie de Vicens fonctionne encore : s’ils ne nous expulsent pas et entrent dans la procédure de demande de visa, ça voudra dire qu’ils ont failli en nous laissant entrer et personne n’a visiblement envie de se faire remonter les bretelles. Ils nous laissent partir en nous faisant promettre de rentrer au Sénégal et on prend la route pour ratrapper la frontière au nord, via la route principale.

Là encore, on est contrôlés mais on ne sait pas bien se ce sont les autorités guinéennes qui nous contrôlent ou les autorités sénégalaises. On nous demande d’où on vient et on reste vague en se disant que s’ils croient qu’on vient directement du Sénégal ils vont tout simplement nous refouler mais on est questionnés à part et Pierrick leur dit qu’on est rentrés par une piste du coté d’Oubadji et que les policiers là-bas nous ont dit que si on ré-entrait au Sénégal immédiatement c’était OK. Le problème c'est que Benoit et Vincens restent vaguent laissant entendre qu'on vient du Sénégal via la frontière où on est, laissant les douaniers penser qu'on s'est simplement trompé de sens.

Ils nous questionnent, on tergiverse, on parle encore de logos brodés et là encore, ils savent que s’ils montent un dossier il y a risque de sanction, etc. On ne lâche rien et on est refoulés vers le Sénégal qui est à 50 mètres de là. On passe sans être arrétés par les sénégalais et un sourire se dessine sur nos visages : on a gagné !

Vicens connait bien la psychologie des autorités d’Afrique de l’ouest et assure que ça fonctionne partout.

Il nous reste à remonter vers Tambacounda, à environ 200 km via la route goudronnée. Mais après une trentaine de km, le scooter chauffe anormalement est on est obligés de s’arrêter au bord de la route. On voit les cocotiers bouger bruyament et en y regardant de plus près, ce sont des gorilles qui, grimpés dans les arbres les secouent violemment pour en faire tomber les fruits. Mais les noix de coco ne sont pas mures en cette saison et semblent résister à leurs assauts.

Il n’y a plus d’eau dans le scooter et on n’en a plus. Vicens arrête un camion qui lui donne un peu d’eau. On remplit le radiateur et c’est reparti… mais pour 3 km seulement. La fuite semble importante et il va nous falloir trouver une solution.

Grâce à une sangle à bagage accrochée à la chambre à air crevée qu’on a conservée, Pierrick va tirer le scooter sur une trentaine de km jusqu’à une ville. Mais Vicens ne pense pas qu’on puisse trouver une solution efficace dans cette petite ville alors qu’il fait déjà nuit et propose de continuer à tracter le scooter sur plus de 100 km, jusqu’à Tambacounda.


On remet quand même de l’eau dans le radiateur, on purge totalement le circuit en se disant qu’on fera toujours quelques km sans avoir à le tracter pour sortir de la ville et on repart. Vicens roule vite et miracle, le scooter ne chauffe plus ! On continuera de nuit, comme ça jusqu’à Tambacounda qu’on atteindra vers 22 heures. La roue aura tenu et la pompe à eau aussi !

Coincidence... on est en Afrique : Sur le parking Pierrick a reçu un coup de fil sur son numéro sénégalais. S'agissant d'un appel venant du Sénégal il a rappelé pensant que c'était notre transitaire qui doit ramener les motos en France. Et là difficile de se faire comprendre en français, on essaie l'anglais, sans plus du succès. Vicens parle le wolof mais il était occupé avec le scooter. On revient donc au français et le gars explique qu'il est un grand marabout, qu'on peut le payer, etc... On raccroche car on ne comprend pas tout mais visiblement, c'est vachement plus efficace qu'un saint Christophe pour réparer les scooters 😊 !

Après renseignement à Dakar auprès d'Amina, la femme de Vicens, c'est une pratique répandue ici : ils appellent des numéros au hazard et trouvent des pigeons.

A Tambacounda, on mange dans une « débiterie », ces petits restaurants qui vendent de la viande et on trouve un hôtel facilement.

Commentaires

  1. Vous êtes des grands malades. Mais ce qui me rassure, Pierrick, c'est que visiblement, tu as trouvé plus dingue que toi !

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  2. Ah ben ça me fais bien plaisir de lire ces 3 dernières notes. Ca ressemble à de l'aventure au plus près des populations locales. C'est super, ça fait envie d'aller s'y promener là dis-donc. Super. Quand aux gorilles, ce serait trop beau! Des chimpanzés surement. Merci pour ces petites notes bien agréables et encore bravo.

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